Vivre à Paris

Cabaret ou cabaret ?

Depuis la fin de la Renaissance, les « cabarets » étaient des établissements où l’on pouvait boire et manger dans des conditions proche de ce qu’on nommera, trois siècles plus tard, des restaurants. Le vin aidant, les convives s’y levaient pour réciter des vers ou entonner une rengaine. L’un des plus célèbres d’entre eux était le Cabaret de l’Epée de Bois, qui exista pendant plus de 600 ans rue Mouffetard (au point que la rue d’angle avait pris le nom de l’établissement… et non l’inverse) et disparut à la fin du XIXe.

Au milieu du XVIIIe siècle, les caveaux sont comme des clubs où se réunissent des artistes afin de mettre leur art en commun et les associer à quelques joyeuses libations.

Mais le cabaret tel que nous l’entendons encore aujourd’hui voit son acte de naissance à l’automne 1881, lorsque Rodolphe Salis ouvre son Chat Noir, au 84 du boulevard de Rochechouart. Avant tout fondé sur la personnalité même de son animateur (qui insultait tous ses clients), le Chat Noir voit défiler tout Paris. On vient surtout voir se produire des auteurs connus ou non, qui montent sur la petite scène pour tenter de séduire le public. Dans un esprit fin de siècle anarchiste mais aussi très sophistiqué, les parisiens découvrent ainsi les poèmes d’un Charles Cros. On assiste surtout aux débuts d’Aristide Bruant, dont la carrière est intimement liée à Salis et son Chat Noir. Trop exigu devant le succès, le félin déménage dès le printemps 1885, pour rallier le 12 rue de Laval (aujourd’hui rue Victor Massé). Salis ajoute à sa palette un étrange « Théâtre d’ombres chinoise » spectacle alors unique à Paris. Illustré par le génial Emanuel Poiré, plus connu sous le nom de Caran d’Ache, (karandach voulant dire « crayon » en russe). Les représentations sont accompagnées au piano par Albert Trinchant tandis que Salis lui-même en assure le commentaire.

Quand Salis meurt, dès 1897, il a déjà maints épigones. Bruant reprend le premier Chat Noir du boulevard de Rochechouart pour en faire son propre cabaret : le Mirliton ; Jules Jouy, Paul Delmet et Victor Meusy troquent félin pour canin et créent « Le Chien noir » (quelle imagination!) ; tandis que Gabriel Salis (frère cadet et ennemi de Rodolphe) fonde « L’Ane Rouge » au 28 de l’avenue Trudaine…

Toujours au fait de l’actualité, Rodolphe Salis avait emprunté la pente de la revue satirique sans jamais s’y engouffrer. Ce penchant, Henri Dreyfus (dit Fursy) va le développer avec sa « Boîte à Fursy », installé dans l’ancien Chat Noir, après la mort de Salis. Véritable ancêtre du Caveau de la République et autres revues de chansonniers, on assistait au dégommage en règle (et en chansons) de l’actualité politique. Sans forcément le savoir, nos modernes Guignols de Canal + sont nés ici.

Malgré l’engouement qu’il provoque, le cabaret fait long feu. Trop bâtard, trop lié à la personnalité de ses animateurs, trop inconfortable, trop fin de siècle, trop potache, trop improvisé (même si ce n’est jamais le cas). On lui préfèrera vite les joies plus « structurées » du Music-hall.