Vivre à Paris

Le Paris des bateleurs

Depuis Saint Louis, le Petit-pont était le rendez-vous de toute une faune de forains nomades car c’était le seul pont qu’ils pouvaient traverser sans avoir à payer un droit de passage. Il leur fallait juste divertir les douaniers avec les tours de leurs animaux sauvages. De là serait née l’expression payer en monnaie de singe.

Autre Pont où se retrouvaient les parisiens : le Pont Neuf. Miracle architectural, il était une véritable esplanade ouverte aux quatre vents car il ne comportait aucune habitation. On y croisait en revanche toutes sortes de baladins, marchands, escrocs et autres catin. On se souvient de la silhouette du Grand Thomas, un célèbre arracheur de dents, qui opérait sur estrade  et avec orchestre !

Sous le second Empire, c’est la Place de la Bastille qui voyait affluer les bateleurs. L’un des plus fameux était le charlatan Mengin, le marchand de crayons, avec son valet « vert de gris », qui jouait de l’orgue de Barbarie. On sent déjà passer l’ombre des personnages d’Eugène Sue et des Enfants du Paradis…

Nos rois aimaient que le peuple profitât de leurs joies les plus intimes. Ainsi lorsque le Dauphin épousa Marie-Antoinette, le 30 mai 1774, une gigantesque fête fut organisée sur la future place de la Concorde. Le feu d’artifice fut somptueux mais l’affluence telle qu’en résulta une bousculade aux nombreuses victimes. Rancuniers, la place et le peuple se vengeront du Dauphin, dix-neuf ans plus tard…

On s’approche ici de plus en plus du sens moderne du mot « foire » : c’est-à-dire lieu d’attraction, de pur divertissement, plus que lieu d’échange et de commerce. Alors qu’un Luna Park exista longtemps à la Porte Maillot, à la place de l’hideux palais des Congrès, les premières montagnes russes apparurent à Paris, en 1817, sur les Champs Elysées. A la seule différence qu’elles étaient baptisées « montagnes françaises ».

En 1894 se tient la première patinoire couverte, mais c’est surtout au tournant du siècle que prend naissance une réjouissance de foire amenée à une destinée moins prosaïque : le cinématographe. L’invention des frères Lumière est en-effet exhibée au public, boulevard des Capucines, à l’emplacement du Grand Café.

On reste ici à la frontière entre le divertissement et l’invention. Cette frontière, les expositions universelles vont en faire leur ligne de conduite. Celle de 1900, par exemple, proposait une immense roue de 100 m de haut, sur l’avenue de Suffren. 40 wagons pouvaient y élever quelques 1600 passagers dans le ciel parisien. Autre innovation assez extravagante : ce trottoir roulant qui reliait le Champ de Mars, les Champs Elysées et les Invalides. On y avançait à deux vitesses : 4 et 8 kilomètre-heure. Le public pénétrait dans l’expo par une immense porte multicolore, haute de 50 mètres, au coin de la Concorde et des Champs. Seul vestige de ce gigantisme belle époque : le Grand Palais, bâti afin d’accueillir aussi bien les automobiles, les trains, que les avions ou le concours agricole.

Changement radical de style avec l’Exposition des Arts Décoratif, qui ouvre ses portes le 28 avril 1925. Cette manifestation va exercer des modifications en profondeurs sur la physionomie des Champs Elysées. Finies les outrances du premier XXe siècle. Les années folles sont aussi celles de l’austérité architecturale de Mallet Stevens ou de Le Corbusier. Les Champs Elysées deviennent une haie de murailles, qui ne s’est pas arrangée avec le temps.